La Résistance à Castelnaudary et dans le Lauragais
 

Castelnaudary n'a pas connu de conflit notable ou d'événement important lié à la Résistance sur son territoire. Cependant, il s'agissait d'un carrefour entre les maquis de la montagne noire au Nord (c'est-à-dire du sud du Massif Central), ceux de la Haute Vallée au Sud, Toulouse à l'Ouest et la côte méditerranéenne à l'Est. Ainsi, de nombreuses informations transitaient par cette ville. Après avoir établi un tour d'horizon des réseaux résistants audois, nous nous concentrerons sur l'expérience de Résistant de Henri Moura en tant que porteur de télégrammes à Castelnaudary.

 

A) Les différents réseaux audois

 

Il existait deux principaux types de réseaux de Résistance : les réseaux d'information et les réseaux d'évasion. Le réseau Gallia était un réseau d'information du Sud de la France, comptant environ 2 500 membres au printemps 1944. Dépendant du Bureau Central de Renseignement et d'Action (BCRA), ses objectifs étaient la collecte d'informations géographiques et militaires pour faciliter la progression alliée. Ce réseau a eu une importance significative lors du débarquement de Provence notamment, car il a permis aux Alliés débarqués de profiter d'une excellente maîtrise du terrain face aux troupes allemandes.




                                                                                

Schéma de l'organisation du réseau Résistant Gallia dans l'Aude
Archives Départementales de l'Aude


L'autre type de réseau était le réseau d'évasion. Il permettait de faire passer la frontière espagnole à des personnes persécutées (Juifs, Tziganes, Communistes...), à des personnes recherchées (Résistants...) ou à des aviateurs ayant perdu leur avion lors d'un crash. Henri Moura nous a confié avoir fait partie de l'un de ces réseaux d'évasion : « En janvier 1943, j'ai accepté de rentrer dans un réseau qui servait à évacuer des personnes recherchées par la Milice et par la Gestapo. Il y avait un réseau qui s'était constitué et qui conduisait des personnes recherchées vers les Pyrénées. Je n'étais qu'un petit maillon. Ce petit maillon, on m'a demandé de le devenir parce que je circulais partout comme porteur de télégrammes, j'avais un laisser -passer et je circulais partout à la barbe des Allemands, de nuit comme de jour. ».

Ainsi, les réseaux d'évasion ont-ils permis de faire traverser les Pyrénées à de nombreuses personnes en danger, grâce aux efforts combinés de divers individus travaillant ensemble sans se connaître ni connaître les objectifs du réseau global : c'était aussi cela la Résistance.

 

B) Rentrer dans un réseau de Résistance

 

Henri Moura était un porteur de  télégrammes travaillant pour la poste. Le télégraphe était l'un des moyens de communication les plus rapides à l'époque où le téléphone ne fonctionnait pas tout le temps. Ainsi, il sillonnait la ville d e Castelnaudary et ses alentours afin d'assurer la transmission de télégrammes, ce qui lui a valu l'attribution d'un laisser-passer. Certains télégrammes devaient être transmis la nuit, donc Henri Moura pouvait circuler partout et tout le temps. 

 

                                                 

 Henri Moura à bicyclette en uniforme de porteur de télégrammes

Archives de Henri Moura

 
Il nous a donc raconté comment il avait intégré un réseau Résistant : « J'ai été contacté par Monsieur Tufféry [qui a été maire de Castelnaudary suite à la Libération] qui m'a demandé d'aller le voir car il avait quelque chose à me demander. Il m'a demandé si je pouvais assurer le transport de messages pour une chaîne d'évasion. Alors, qu'est-ce que vous auriez fait ? J'avais 15 ans, je ne voyais pas où était le mal. Il m'a dit : « Quand tu circuleras route de Revel tu risques de rencontrer un Monsieur qui t'arrêtera. Il ne te dira pas qui il est, il ne te dira pas d'où il vient, mais il te chargera de porter un message à une adresse indiquée. » Et effectivement c'est ce qu'il s'est passé. Pas tous les jours, mais parfois, le soir, à la nuit tombante, il sortait de derrière une haie et il me donnait une enveloppe. Il démontait la pompe de la bicyclette, il mettait l'enveloppe là-dedans et j'allais la porter à l'adresse indiquée. »

Ainsi, les réseaux de Résistance se formaient dans le mystère et la confidentialité, sous la responsabilité de membres d'un certain niveau hiérarchique. De nombreux « maillons » travaillaient en synergie sans se connaître ni savoir pourquoi.
 

Ce témoignage est particulièrement riche pour nous, car il s'agit de l'histoire d'un garçon qui avait à peu près notre âge lorsqu'il s'est engagé dans la Résistance. En connaissant rétrospectivement l'ampleur de cette organisation, les risques encourus et les conséquences, cette anecdote revêt une connotation beaucoup moins légère aujourd'hui.

 

C) Les agents de liaison : missions et risques

 

     Les réseaux de Résistants ne sont que des regroupements d'individus ou de petits groupes d'individus insurgés contre le régime de Vichy. Pour passer de simples groupes locaux à des réseaux d'ampleur nationale, les Résistants ont dû mettre en place des réseaux de communication performants, c'est-à-dire qui puissent transmettre un volume conséquent de données avec un minimum de contraintes. Les individus chargés de cette transmission étaient nommés « agents de liaison » ou « courriers ». C'était par eux que transitaient les flux d'informations qui permettaient de maintenir une cohérence décisive au sein des différents réseaux. M. Moura a été réquisitionné pour exercer cette fonction. Il nous a livré son expérience en nous racontant notamment le déroulement de ses missions.

     Après avoir caché l'enveloppe à transmettre dans la pompe de la bicyclette, l'homme inconnu que Henri Moura croisait sur la route de Revel (ou parfois de Saint Papoul) lui donnait la marche à suivre, souvent la même : « Tu iras au 23 grand rue. La porte ne sera pas fermée à clé. Tu rentres, tu vas au premier étage, porte de droite. Tu frappes, tu passes la lettre sous la porte et tu t'en vas. Surtout, ne cherche pas à savoir qui il y a derrière » Voilà les instructions que recevait Henri Moura pour accomplir sa fonction d'agent de liaison. « J'ai donc opéré de la façon qu'on m'a indiquée et j'ai su par la suite que cette maison appartenait à un monsieur qui a été arrêté par la suite, déporté et qu'on n'a jamais revu. Il s'appelle M. Mouton. » La mission paraissait ainsi assez simple. Cependant, cette activité comportait des risques.

     Henri Moura nous a fait part d'une expérience qu'il a vécu alors qu'il devait porter un télégramme à des employés municipaux dans une caserne allemande (qui se tenait à la place de l'actuel lycée François Andréossy à Castelnaudary). Ne connaissant pas encore les lieux, il a tenté de demander son chemin à des soldats allemands qui travaillaient à la maintenance des camions. Ne réussissant pas à se faire comprendre, il a décidé de s'en aller, mais un problème se posa : « Quand j'ai voulu sortir, j'ai été cravaté par deux sentinelles. […] Ils m'ont empoigné, ils m'ont enfermé dans un local. A un moment est arrivé un soldat (qui criait beaucoup), qui m'a déshabillé et qui m'a fouillé complètement. Il m'a ensuite fait comprendre que je pouvais me rhabiller. Il m'a amené dans un autre bâtiment où se trouvaient des officiers (qui commandaient probablement le régiment de Castelnaudary). Alors, un officier qui parlait très bien le français m'a demandé ce que je faisais, pourquoi j'étais rentré dans la caserne et tout ça. J'avais une petite sacoche où je mettais les télégrammes à distribuer. Il a pris cette sacoche, il l'a fouillée, il a pris un télégramme, il l'a ouvert puis il a lu le texte. Finalement, il a parlé aux autres soldats qui m'avaient accompagné et ils m'ont renvoyé. J'ai eu bien peur, j'aime autant vous le dire ! ».

Ainsi, si les contrôles étaient fréquents, certains contrôles étaient quand même plus poussés que d'autres : la fonction d'agent de liaison générait une forme d'angoisse bien présente. D'autant plus que les incidents ne sont pas toujours aussi légers. En effet, Henri Moura nous a raconté un deuxième événement qui lui est arrivé alors qu'il transmettait la nuit un télégramme à une famille qui vivait sur la route de Revel, alors fermée par des chevaux de frise.

« J'ai écarté les chevaux de frise mais je ne suis pas allé loin. Mon vélo a disparu, j'ai été empoigné contre un arbre avec une baïonnette qui me chatouillait le nombril. Ça baragouinait en allemand, donc je n'ai rien compris. Tout d'un coup, j'ai reçu un coup, je suis tombé et ils m'ont frappé à coup de crosse dans les côtes et j'ai eu mal très longtemps. J'avais donc 16 ans mais je pleurais comme un bébé. ». Le lendemain, Henri Moura est convoqué au bureau du patron de la poste. Là, un officier allemand l'attendait et lui dit : « Dorénavant, quoi qu'il arrive, quelle que soit l'importance du texte du télégramme, la distribution ne doit pas être assurée dans la zone fermée. Vous savez, vous avez eu de la chance car mes soldats n'ont pas fait leur boulot : ils auraient dû faire des sommations et tirer ensuite. Ils ont dû voir que vous étiez un gamin avec leur énormes torches, et ils ont fait le contraire de ce qu'ils devaient faire ».

Ainsi, le métier d'agent de liaison était dangereux. En effet, cette activité impliquait une multiplication des contrôles par les autorités d'occupation. Si certains se passaient plutôt bien, d'autres pouvaient se passer très mal. Cependant, malgré ces mauvaises expériences, Henri Moura a continué de servir la Résistance en tant que « courrier ».

 

Conclusion

 

     Ainsi, à l'époque, la Résistance était une notion floue. La nécessité du secret entraînait la dissociation des membres afin de garantir une confidentialité maximale. Peu à peu, les petits groupes épars se sont regroupés pour former des réseaux d'ampleurs départementales ou nationales, notamment grâce à une amélioration des communications liée au recrutement d'agents de liaison par les membres de la hiérarchie. Voilà comment se construit une organisation performante, permettant de réaliser de nombreuses actions résistantes (information, évasion...) et d'optimiser l'efficacité des maquisards.




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